
Quarante neuvième numéro des Vendredis du Vin, avec pour thème, cette fois-ci :
LE VIN ET LES FLEURS !

Des magnolias aux fleurs de pavots, de l'acacia en fleur, bien sûr, sur chablis en rut ou de la délicate fleur de vigne remarquée sur un sauvignon en chaleur, quand ce n'est pas de la fleur de buis frais, moi j'veux bien mettre dans le vin toutes les fleurs que vous voudrez me donner, n'importe quoi, y compris le muguet, la rose ancienne ou la pivoine de ma grand-mère Suzanne.
Il y en a une pourtant qui retient mon attention plus que d'autres, c'est la fleur de thym, celle de la Saint-Jean en particulier, celle que l'on rencontre à foison lorsque le mauve délicatement parfumé et huileux explose en touffes éparses sur le sol pierreux des Corbières qui commence à se réchauffer. Ce thym que d'autres qualifieraient de « commun » alors qu'en Provence on l'affabule du joli nom de « farigoule », je le baptise sans gêne « putain de thym » tant il est parfois flagrant dans les vins !
Jusque là rien de bien extraordinaire me direz-vous à juste titre. Ben oui. Sauf qu'il y a quelque chose d'étonnant. À chaque fois que je goûte les vins rouges de ma région en période florale, en gros de Mai à Juillet, en pleine période du solstice d'été, là où les jours sont les plus longs, je suis sous l'emprise de ce « putain de thym ». Bon, avec vous, entre gens du vin, point n'est besoin de me justifier. Vous savez que « putain », dans ce sens là, est un terme plutôt affectif. Mais c'est aussi, quand on l'utilise à bon escient, un moyen de s'affranchir des choses courantes, de dire que ce goût de thym est parfois trop prononcé, trop envahissant. Ce n'est pas franchement une question de cépage, du moins je ne le pense pas. Ainsi, les notes de thym – de la garrigue, je précise bien – ne sont pas que l'apanage du Carignan, parfois aussi accentué d'orange sanguine. On le retrouve dans un cabernet franc, un merlot, une syrah, un grenache, un mourvèdre et même un cinsault.
Est-ce une association d'idée ? Exemple : « Ce vin vient de la garrigue, en conséquence il doit sentir l'olive noire, la pierre brûlée, le ciste, le genièvre... et le thym ». Ou existe-t-il une réelle cause à effet pour sentir ces notes florales, douces et empyreumatiques, parfois enivrantes ? Je me souviens, par exemple, d'un vin médocain qui, goûté jeune, sentait le goudron. Son géniteur, lorsque je lui en parlais, m'indiquait avec un sourire en coin : « Marrant ce que vous me dîtes, mais en Juin, les Ponts et Chaussées ont bitumé un chemin qui longe la vigne sur 300 mètres. C'est cette même vigne qui a donné le vin que vous goûtiez ».
J'aime croire en ces deux versions. Toujours est-il que, lorsque je bois un « Cochon » de la Coopérative d'Embres-et-Castemaure, par exemple, peu importe que les raisins aient été ramassés à la machine ou à la main, tôt le matin ou tard le soir, nonobstant le ciste, le romarin ou la lavande, je ne peux m'empêcher de sentir ces putains d'effluves collantes d'essences de thym comme agglutinées au raisin. Mon ½sophage en est bouleversé : lui aussi ressent cette matière infiniment sudiste qui s'imprime jusqu'au plus profond de mon être. Je le sais, pour la bonne raison qu'il en a expédié le message à mon cerveau en ligne directe. D'ailleurs, même si la Saint-Jean est loin, j'ai du thym en fleur plein la tête.
Michel Smith